mardi 19 août 2008

La magie de Bonaïgua: récit









La magie de Bonaïgua



Il se tient fièrement debout. Majestueux. Bien campé, à côté d’un buisson. Souple et puissant à la fois. Il m’apparaît d’un coup au détour d’un pierrier. Je ne l’attendais pas. Je ne l’attendais plus. Il aurait dû être ailleurs, plus haut vers les sommets…

En commençant la randonnée, j’avais à l’esprit que je le rencontrerai, lui ou un ou plusieurs de sa bande. Le soleil en était encore à projeter sa lumière de l’autre côté, sur la face Est du pic Canigou, quand je fis mes premiers pas.
Le clot del Xixo était assoupi dans l’attente de la lumière solaire. Le replat sur lequel flânait le sentier me permettait de reprendre mon souffle que j’avais déjà mis à rude épreuve depuis le départ. Je marchai plus lentement et embrassai du regard les étendues de cistes qui couvraient le petit plateau. Leur seul feuillage couleur amande apportait de la joie aux églantiers défleuris qui laissaient pendre tristement en cette période de fin d’automne, leurs fruits qu’on appelle couramment des gratte-culs et qui, quand ils tombent dans les mains d’une cuisinière experte, produisent une délicieuse confiture.
La pente avait repris son cours et je m’étais remis dans mon rythme de marche de tout à l’heure.
Pendant tout le quart d’heure qui suivit et qui précédait le moment où le sentier allait longer les petites falaises abruptes, je pensais que je le verrais.
Dès que je quittai le premier versant pour m’engouffrer dans la combe, je ralentis et assouplis sérieusement mon pas. Tous mes sens se mirent en éveil. Mon pas était silencieux et tout en marchant, je scrutais les falaises au travers de la végétation automnale peu épaisse. Mais rien. Décidément rien. Je compris que je ne le verrais pas aujourd’hui.
Je repris un rythme de marche soutenu.
En parvenant à l’altitude de mille deux cent mètres, là où un petit monument rustique témoigne de la mémoire du maquis de résistance Henri Barbusse, je m’arrêtai sur le plat rocheux qui domine la combe où coule le riu Saint Vincent. De là, je pouvais voir le massif du Tres Estrelles tout proche et dont le sommet se prélassait sous les premiers rayons de soleil. Plus loin, le Madres imposait sa silhouette massive et sombre, mettant en valeur derrière elle, les sommets lointains et enneigés du Capcir.
La joie m’avait envahi. Ma solitude faisait corps avec la montagne et me laissait percevoir la respiration de la nature. Le ciel était bleu. Le soleil allait surgir des crêtes sommitales. Je n’attendais plus qu’une belle journée d’efforts, de paysages et de silence bucolique. Je ne pensais plus à rien d’autre.
Au rythme où j’avançais, je dépassai très vite la porteilla de Dalt, puis j’atteignis sans peine l’intersection avec le sentier qui monte sur la gauche vers le pic Cogollo. Je suis souvent passé par ici, mais à chaque fois pourtant, je ne peux m’empêcher de penser à un clown quand je prononce le nom de ce lieu qui par ailleurs est une destination très agréable et d’où se laisse contempler un magnifique panorama.
Dans peu de temps, le sentier allait épouser les plis et replis de la montagne. Il se love au creux de celle-ci comme un amoureux transi accroché à son aimée. D’où j’étais, je voyais bien le point où il allait déboucher après ses méandres soumis et je rêvai à un sentier rebelle qui tout à coup refuserait les caprices de sa belle et m’emmènerait directement sous la futaie si proche à mes yeux, m’épargnant plusieurs centaines de mètres de détours.
J’avais tellement bien accepté tout à l’heure que je ne ferais pas de rencontre aujourd’hui que j’en oubliais que ces incursions dans ces combes sombres, presque secrètes, en étaient le deuxième endroit propice.
J’allais un bon train sur la sente rocailleuse. Un premier pierrier, puis un second et le troisième. Et là, surprise : ils étaient quatre. A trente mètres de moi. Quatre isards qui broutaient, l’un des herbes fines et fragiles, poussant entre les pierres, l’autre des baies dans un buisson. Ils tournèrent la tête vers moi qui débouchait comme un rustre sur leur territoire. Ils restèrent immobiles une seconde seulement, le temps de me signifier d’un regard réprobateur qu’on n’arrive pas ainsi brutalement chez autrui, puis ils détalèrent brusquement, l’un plongeant vers le ravin et les trois autres s’engouffrant dans les buissons feuillus qui bordaient le pierrier. Je tentais de retenir les instants de ce moment privilégié, mais déjà je ne voyais plus que trois petites tâches blanches au milieu du pelage fauve qui disparaissaient, dernier pied de nez à l’intrus que j’étais.
Je restai là quelques secondes, immobile, sous le charme. Même si j’ai déjà eu maintes fois l’occasion de rencontrer des isards, je ressens toujours une joie d’enfant qui reçoit un cadeau merveilleux. C’est fou ce que des petits moments comme celui-ci peuvent vous remplir le cœur. La joie vous envahit. Le corps semble devenir plus léger, plus aérien et en même temps plus fort, plein d’énergie. Les couleurs alentour s’avivent, les chants des oiseaux deviennent plus joyeux et la caresse du vent plus voluptueuse.
Nourri de cette énergie, je repartis, le pas joyeux.
« Moi qui avait abandonné l’idée d’une telle rencontre, je me suis bien trompé, pensai-je. Tant mieux, j’aimerais me tromper plus souvent. En tout cas, c’est fini pour aujourd’hui : mon expérience m’a toujours confirmé jusqu’à maintenant que lorsque les isards sont ainsi dérangés, ils montent plus haut dans les pierriers. Or, même si je suis maintenant parti pour prendre un peu plus d’altitude, ce sera hors de leur zone, et quand je repasserai tout à l’heure par ici, ils seront bien plus hauts que moi. »
Il ne restait que moins d’une demi-heure pour atteindre le but de ma randonnée. Après le pierrier, le sentier devint plus humide et la terre noire imbibée de l’eau qui suintait de la pente mi-rocheuse mi-herbeuse se mélangeait à la caillasse. Je traversais en ce moment la partie la plus humide de la sortie. A un détour du sentier, la chanson cristalline et rythmée de l’eau du ruisseau Bonaïgua me sauta tout à coup aux oreilles. C’est ainsi en montagne : un son pourtant relativement puissant peut être inaudible à un endroit abrité par le pan de la montagne et tout à coup vous parvenir soudainement quand on passe sur un autre versant.
J’étais entré dans une combe toute sombre. Le petit torrent bondissait de caillou en caillou comme un jeune cheval fou. Le souvenir d’une chute que j’avais faite à cet endroit, un hiver passé, sur la neige glacée et dont je m’étais heureusement bien sorti me revint. Instinctivement, malgré l’absence de neige et de danger, je serrai davantage l’amont de la combe.
Un peu plus haut, je traversai sur des gros blocs de rochers, dont certains issus d’un éboulis, étaient venus se joindre à d’autres gros cailloux charriés par le flux puissant du torrent au cours d’épisodes orageux. Le pont ainsi formé me transporta sur l’autre versant, au pied de la longue et abrupte montée vers le refuge de Bonaïgua.
Vingt minutes plus tard, je vins enfin à bout de cette pente qui n’en finissait plus de grimper dans le sous-bois. La première image qui illumina ma sortie des frondaisons fut le toit herbeux du refuge, léché par des rayons de soleil qui réfléchissaient sur la grande plaque rocheuse qui semble ouvrir la porte à la minuscule prairie d’altitude où se niche le refuge. Entre herbe et rochers.
Malgré le souffle court et le cœur qui semblait galoper dans ma poitrine, je ne restai que quelques secondes à contempler cette image, pourtant si belle. Je ne pus attendre plus longtemps pour parcourir les quelques dizaines de mètres restants pour retrouver mon cher refuge de Bonaïgua.
Il était là, paisible, baignant dans la lumière et le silence. Une petite brise descendant du sommet du Canigou faisait frémir les herbes qui poussaient sur son toit. Petit, de forme parallélépipédique, son volet et sa porte en fer clos, il n’avait rien pour séduire un étranger qui ne le connaissait pas.
Moi, je l’aimais. A chacune de mes visites, je m’y sentais un peu chez moi. Il est de ces quelques endroits où la sérénité vous envahit et où on se laisse aller au bonheur simple de vivre au présent, de tout trouver joli, d’admirer les choses ordinaires. Je peux m’asseoir près de lui et rester de longs moments, immobile, en état de contemplation. Il faut dire, qu’outre les nombreuses fois où je lui rends visite, j’y ai vécu deux jours, lorsque je l’avais pris pour « camp de base » pour faire l’ascension en solitaire et de nuit, du pic Canigou qui culmine mille mètres plus haut. C’était le cadeau d’anniversaire que je m’étais offert pour mes cinquante ans. J’y avais mangé : sur sa table rustique encombrée de vieilles bougies dégoulinant de cire, mais aussi dehors, sur la marche d’entrée. J’y avais dormi : sur ses planches-dortoir superposées, avec pour seul confort mon tapis de sol qui m’isolait un peu de la dureté du bois. Je m’y étais lavé et rasé, à la source toute proche qui suinte d’un épais et doux tapis de mousse. J’y avais lu, à l’ombre des arbres voisins. J’y avais passé de longs moments de contemplation sur la plate-forme rocheuse située à cinquante mètres du refuge qui domine la vallée et offre généreusement une vue magnifique sur les formes à la fois massives et élégantes du Madres, du Tres Estrelles, et des pics du Capcir, mais aussi sur quelques petits villages isolés, accrochés aux flancs de la montagne. J’y avais observé le ciel à l’humeur incertaine. J’y avais écouté, lors de la première partie de la seconde nuit, lové au creux de mon duvet, l’orage qui déchirait le ciel et laissait rouler ses grondements dans tous les coins secrets et obscurs de la montagne qui lui renvoyaient l’écho de sa colère.
Hormis le passage rapide d’un groupe de randonneurs alors que je revenais le second jour de mon séjour, fourbu mais ravi, de mon ascension nocturne du Canigou, ainsi que la première nuit où un couple de jeunes gens avait occupé le bat-flanc du dessous, j’avais vécu seul ces moments de vie simple, dans et auprès de ce refuge non gardé, isolé, modeste, de petite taille. Alors, forcément, le corps et le cœur s’imprègnent de ces moments, de ces lieux, des émotions vécues. Et à chaque fois que je reviens, ces émotions remontent un peu de mon inconscient, effacent ma rationalité et, perdant mon objectivité, je trouve cet endroit merveilleux.
Le soleil était maintenant haut dans le ciel. Je dus faire un effort pour me décider à ranger mon sac à dos et repartir de ce cher refuge de Bonaïgua. Je jetai un dernier regard un peu nostalgique et me lançai dans la descente au travers des bois. Dans les endroits un peu plus pentus, je me laissais entraîner joyeusement, mais je devais reprendre rapidement le contrôle afin de ne pas risquer une chute, même anodine. Mon euphorie me faisait perdre un peu de la nécessaire prudence dont on doit faire preuve en montagne, même dans les endroits non dangereux, a fortiori quand on randonne en solitaire. Après m’être laissé aller ainsi pendant quelques minutes au besoin d’extérioriser ma joie, je repris, tout en chantonnant, le cours normalement rythmé de mon pas. Le chant du torrent de Bonaïgua me parvint tout à coup. Encore dix minutes et j’arrivai à l’endroit où il faut traverser le lit de la petite rivière aux eaux vives et capricieuses.
Je m’éloignai du brouhaha de son flot agité jusqu’à passer dans une autre combe où le silence se fit. Je m’arrêtai pour écouter le bruit de la forêt et de la montagne. C’était vraiment une belle journée. J’étais heureux. Comblé. Serein. C’est dans cet état d’esprit que je repris le fil de ma randonnée. Après le passage humide et terreux, le chemin reprit un aspect rocailleux à l’approche du pierrier. Un buisson me barrait le chemin. Je le soulevai doucement en même temps que j’entamai le virage qui m’amenait sur les éboulis.
Et là, je m’arrêtai tout à coup… Ebahi. Incrédule.

Il se tient fièrement debout. Majestueux. Bien campé, à côté d’un buisson. Souple et puissant à la fois. Il m’apparaît d’un coup, au détour du pierrier. Je ne l’attendais pas. Je ne l’attendais plus. Il aurait dû être ailleurs, plus haut vers les sommets…
Et pourtant, il est là. Il semble qu’il m’attendait. Moins de vingt mètres de distance et un creux de cinq mètres de profondeur nous séparent. Il me regarde fixement. Il n’a apparemment pas peur. Il est immobile. Je crains pourtant qu’il parte tout à coup très vite. Je ne bouge pas. J’ai trop peur qu’il me quitte sans me laisser un souvenir tangible. Alors, sans le quitter des yeux, je laisse descendre lentement mon bras gauche vers l’étui de mon appareil photo accroché à ma ceinture. Je l’ouvre doucement et saisit la boîte à images. Il ne bouge toujours pas. Une vibration sonore s’élève tout à coup, d’abord discrète, légère, vaporeuse. Puis elle prend sa place dans le silence où nous baignons lui et moi. C’est à la fois un sifflement et un feulement discret. Il me faut quelques secondes pour faire le lien entre cette manifestation sonore et la vue que j’ai de ses naseaux qui vibrent. Je suspends mon geste. Qu’exprime-t-il ? s’agit-il d’un cri pour avertir ses congénères ? est-ce un moyen pour exprimer sa peur ou bien veut-il m’intimider ? Tout va très vite dans ma tête. Tout se mélange. Le temps qui passe, la peur de le voir partir, l’envie de fixer son image. Je regarde, je reçois de tout mon être cette rencontre magique et en même temps, sans rien bouger d’autre que mon bras, j’ai réussi à amener mon appareil photo au niveau de mes yeux. Je ne le vois plus qu’au travers de l’écran. IL va partir. C’est sûr… j’appuie sur l’obturateur. Je baisse doucement l’appareil. Il est encore là. C’est incroyable. Je remonte l’appareil au niveau de mon regard. De nouveau, je ne le vois plus qu’au travers de l’écran. Une deuxième photo. Il est toujours là, immobile, les yeux fixés sur moi, ses naseaux vibrant d’un cri que je ne comprends pas et que j’aimerais tant comprendre. Je devrais lui parler. Voilà plusieurs dizaines de secondes que nous nous contemplons et nous n’avons encore rien échangé. Peut-être ce cri est-il une invitation au dialogue. Mais tout à coup, une pensée subite autant qu’étrange me traverse : « et s’il était dangereux ? s’il allait m’agresser ? ou bien encore est-il malade ? Ce face-à-face si long avec cet animal sauvage et normalement craintif n’est pas normal…». Pensée idiote bien sûr, dénuée de tout bon sens, qui ferait rire tout randonneur, même le moins expérimenté et moi le premier si on me racontait une telle mésaventure arrivée à un autre. Il n’empêche que l’espace de quelques secondes, cette idée m’a envahi. Alors, doucement certes, mais sans plus d’hésitation, j’entrechoque mes bâtons de randonnée pour me rassurer. Et le résultat est évident, spectaculaire mais aussi désolant. Immédiatement, ses muscles se détendent et propulsent le bel isard dans la pente rocheuse. En une ou deux secondes, il s’est mis à l’abri. Il a disparu de mon regard.
C’est un spectacle magnifique de voir ce mariage de la puissance et de l’élégance s’exprimer ainsi dans le milieu naturel. Mais c’est aussi désolant de s’être laissé submerger par une telle pensée naïve et enfantine.
Je l’imagine alors, quelques dizaines de mètres plus bas, dans un endroit excessivement pentu, camouflé dans le feuillage d’un improbable buisson qui a poussé et grandi au milieu de cet environnement minéral. Sa tête dodeline. Il est désespéré : comment cet être humain est-il assez stupide pour lui faire peur et refuser d’entamer un dialogue avec lui qui avait commencé à lui parler.
C’est en tout cas mon regret : ne pas lui avoir parlé pour voir sa réaction au son de la voix. C’est cependant mon seul regret qui entache à peine le bonheur apporté par la magie de cet instant insolite tellement ce dernier était fort.
Je lève les yeux : le ciel est toujours d’un bleu azur magnifique. Le soleil inonde de sa lumière les superbes reliefs de roche et de verdure de la montagne. Il me reste à descendre sept cents mètres de dénivelé.
Mon regret s’est déjà évanoui dans cet immense espace de liberté et de tolérance. Je repars avec, dans ma tête et mon cœur, une image irréelle, des sons nouveaux et une émotion profonde.

samedi 29 décembre 2007

Les fleurs du cambre d'Aze (récit)






Voilà le récit d'une randonnée au pic Cambre d'Aze en Cerdagne. C'était par une magnifique journée de début juillet. A cette époque et à cette altitude, les fleurs s'exhibent joyeusement dans leurs habits de couleurs.
Je ne les avais pas regardées lors de l'ascension, seulement préoccupé d'avaler goulûment le dénivelé de 1000 mètres. Parvenu au sommet, l'énergie évacuée, je ressentis le besoin de calme, de douceur et de beauté.
Alors seulement, j'ai regardé autour de moi.
J'ai d'abord embrassé du regard le panorama grandiose des montagnes, puis mon regard s'est accroché à la beauté d'une fleur, puis une autre... et je n'ai plus vu qu'elles, plus séduisantes les unes que les autres. C'est ce bouquet de fleurs de juillet que je mets en ligne aujourd'hui pour vous souhaiter de bonnes fêtes de fin d'année.


Les fleurs du Cambre d'Aze:

Je me retournai, mais déjà le sommet avait disparu, mangé par une pente herbeuse et abrupte, dont le dos s’arrondissait en une bosse velue que le vent d’ouest faisait frissonner.
A cette altitude, prudentes, les fleurs ne se hissent pas bien haut sur leur tige. Elles ont décidé de vivre ici. Et pour vivre en ces endroits ventés, elles ont accepté de s’épanouir tout près du sol, recroquevillées dans l’herbe rase, à l’abri des intempéries.
Le mauve des innombrables pétales de l’Aster des Alpes brille au soleil comme un vernis sur des ongles longs et gracieux. Près de la fleur au cœur jaune orangé, des minuscules fleurs d’Androsace pubescente, engoncées dans un coussinet de petites feuilles vert bouteille, déploient leurs pétales d’un blanc immaculé autour d’une étonnante corolle rouge. Partout alentour, des milliers de petites touches de peinture semblent avoir été posées là par un mystérieux artiste aux pouvoirs magiques... On dirait que les prairies d’altitude, qui déroulent leurs pelouses jusqu'à perte de vue, se sont laissées séduire par ces minuscules coquettes aux couleurs diaprées.
Je retiens mon pas, rustre et maladroit, dans cette palette sauvage et colorée. Je m’excuse presque d’une maladresse qui me fait froisser la robe d’une gentiane dont le bleu profond rivalise de beauté avec celui de l’azur.
Des dizaines de fois encore, j’interromps ma descente pour reconnaître, admirer ou saluer ces minuscules et éphémères créatures qui chantent les louanges de l’été enfin revenu sur la montagne, après un hiver rigoureux qui avait même eu l’outrecuidance de voler la jeunesse du printemps.
Malgré ces arrêts répétés, j’ai tout de même perdu de l’altitude. Sur ma gauche, à deux cents mètres environ, la montagne esquisse un pli élégant qui semble s’ouvrir vers la vallée. Je reconnais là, la combe que j’avais identifiée sur la carte, et qui sera mon guide et ma compagne pendant plusieurs centaines de mètres de dénivelé.
La descente est rude, et les efforts un peu fous que je m’étais imposés à la montée se paient maintenant. Les muscles des cuisses deviennent durs et la fatigue commence à engourdir mon cerveau et mes réflexes. Il est temps de marquer une pause... Je me laisse choir un peu lourdement près d’un buisson que je n’ai même pas pris le temps de regarder.
En enlevant les lunettes qui me protègent du soleil éblouissant, et qui ne m’a pas quitté depuis ce matin, mon regard s’arrête tout à coup, séduit... Les buissons de rhododendrons que j’avais rencontrés jusqu’alors étaient tous défleuris, ou au mieux, leurs fleurs déjà flétries par le temps qui passe semblaient bien tristes. Celui-ci explose d’un rose vif, couleur merveilleuse que ces petites fleurs délicates savent si bien mettre en valeur, pelotonnées dans de confortables divans de feuilles au vert vigoureux et lumineux. Et ce buisson n’est pas seul. Loin s’en faut : le côté exposé à l’est de la combe est recouvert, sur cent à deux cents mètres, de plantureux et interminables tapis où le rose presque rouge des fleurs caresse le vert soutenu de millions de petites feuilles éclatantes de vigueur et de jeunesse.
Comme par miracle, ma fatigue s’est évanouie. Un petit sentier se faufile gaiement dans cette marée végétale. Sans plus d’hésitation, je m’y glisse et me laisse entraîner par cette houle magnifique. Et puis tout à coup, au fil de la marche, un petit îlot tout blanc surgit auprès d’une vague rose et verte. Puis un autre. Et de plus en plus souvent... C’est le saxifrage faux géranium qui, par sa blancheur immaculée et inattendue permet à son prestigieux voisin de rehausser encore la richesse de ses atours princiers. De grandes ombellifères apparaissent aussi, çà et là, auprès de ces immenses parterres rose et vert... Des larges feuilles qui couvrent leurs pieds, les Angéliques et les Adénostyles à feuilles d’Alliaire lancent vers le ciel d’interminables tiges qui explosent en autant de bouquets de minuscules fleurs blanches et mauves. D’abord isolées, les grandes ombrelles élégantes se font peu à peu plus présentes. Juste avant le goulet où la combe resserre ses deux versants, le mauve et le rose semblent trouver un équilibre. Mais en l’espace de quelques mètres le mauve de l’Adénostyle met soudain fin à l’hégémonie des colonies de rhododendrons. On dirait que la grande ombellifère aux aguets, a profité d’un instant d’inattention du buisson impérial pour lui ravir les territoires du dessous qu’il avait prévu de conquérir. Du haut de son mètre et demi, le mauve, ravi de cette aubaine, envahit goulûment le versant ensoleillé.
Je sens qu’à chacun de mes pas, je m’immerge davantage dans cet océan de couleurs. Une chaleur douce et caressante monte le long de mes jambes et de mon corps. Avivés par le soleil brûlant, des bouquets d’odeurs chaudes et sensuelles s’insinuent par tous les pores de ma peau. La tête me tourne un peu. Je ferme les yeux, et me laisse aller à l’ivresse de cet instant de bonheur simple.

C’est vrai que le bonheur est parfois dans le pré, mais je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’y courir vite.

jeudi 15 février 2007

Rencontres sur le chemin de la Massane (récit)







Comment imaginer que, si proche des magnifiques couleurs dont le ciel et la mer habillent Collioure, se cache à l’abri du regard des touristes, une vallée aux flancs de montagne tapissés de vignes, de garrigue et de quelques rares prairies où paissent tranquillement des vaches. C’est vers ce havre de paix que de temps en temps, encore enivré par la superbe lumière de Collioure, Matisse venait à pieds, en compagnie de sa femme, chercher un peu d’ombre et de sérénité.

Il est déjà neuf heures ce matin mais je flâne encore, à l’image du soleil qui s’élève paresseusement au-dessus des lignes de crête, inondant d’une lumière douce et longue les flancs de la montagne.
Pas de pétarades de moteur, de cris, de machines. Même les maisons du hameau du Rimbau, blotties au fond du vallon et d’où partira ma randonnée vers la Tour Massane, sont silencieuses. Seuls des cliquetis au rythme régulier font entendre discrètement mais avec détermination, une étrange musique métallique.
Même s’il est un peu tard, la randonnée attendra. J’ai toute la journée. Ma curiosité me conduit sur une piste qui monte en direction de la Tour Madeloc.
Rapidement, j’identifie un, puis deux, puis trois de ces chanteurs de métal qui font claquer leur bec avec acharnement : dans les feixes - c’est ainsi que les Catalans nomment les cultures en terrasse-, les sécateurs des vignerons mordent et coupent avec appétit les sarments de vigne que la fin de l’automne a dépouillé de leurs feuilles.
Je m’approche d’un de ces travailleurs. Il est courbé sur son labeur. Il est tout entier absorbé par la taille de ces rameaux qui ont porté tout l’été les grappes de raisin.
« Je suis sur le bon chemin pour aller à la Massane ? » lui dis-je pour lancer la conversation.
Mon interpellation le surprend à peine. Il suspend son geste, tourne lentement la tête dans ma direction, puis tout en reprenant son tic tac, il me dit :
« ah non, alors, pas du tout ». Un silence. Le silence des hommes de la terre. Puis il se redresse et me regarde vraiment.
« Vous pouvez toujours aller par là mais vous n’êtes pas arrivé. Ca ferait un sacré détour. »
De sa haute taille, il m’observe en disant ces mots. Il regarde ma panoplie de randonneur. Il se remémore ma question et l’ignorance qu’elle révèle. Je crois qu’il m’a classé parmi ces citadins qui ne connaissent de la nature que les loisirs qu’ils viennent y chercher. Pourtant, son visage en sueur se détend. J’enchaîne immédiatement :
« C’est le bon moment pour la taille ?
- Normalement oui. Mais il fait trop doux cette année. Il y a encore de la sève et ça colle, répond-il en se grattant le crâne un peu dégarni et en esquissant une grimace. Un silence. Puis, après quelques autres considérations sur les désagréments du climat actuel, il me lance :
- Alors, comme ça vous voulez aller à la Tour Massane. Ca pour connaître, je connais. Le chemin, je l’ai fait des milliers de fois… »
J’ai du mal à réprimer un sourire en entendant cette galéjade que ne renierait pas un Marseillais mais je ne la relève pas.
« Vous voyez les vaches, là-bas, reprend-il en montrant du doigt le fond de la vallée, et au-dessus, le sentier qui monte à pic ? eh bien … »
Il me décrit alors la randonnée « qu’il a faite des milliers de fois ». Je l’écoute attentivement. De sa description, j’apprends une ou deux indications utiles.
Tout à coup, il termine ses explications par un « et voilà, avec ça, vous ne pouvez pas vous perdre » qui signifie « bon, maintenant, la pause c’est fini, j’ai du travail ». Il me souhaite une bonne journée et sans plus attendre me tourne le dos et se remet au travail. Je ne sais pas s’il entend mon remerciement.
Curieux homme qui allie la rudesse des hommes de la terre à la faconde des habitants du littoral.
Heureux de ma rencontre, je respire profondément et embrasse du regard ce magnifique paysage de vignes et de garrigue de la vallée du Rimbau dominée par la tour Massane qui m’attend.

J’atteins les maisons les plus proches de la rivière Le Ravaner. Un chien sort de l’une d’elles. Il émet le début d’un aboiement qui se transforme presque immédiatement en un éternuement comique. Il tourne autour de moi. Sa queue s’agite. Ses intentions sont amicales. Il semble un peu peureux, effacé, gentil.
Je traverse le Ravaner sur l’échelle couchée. Le chien me suit. J’arrive à la barrière de l’enclos aux vaches. Au moment où je vais l’ouvrir, trois autres chiens m’encerclent. L’aboiement est celui des chiens de garde. Le petit peureux qui m’accompagnait alors s’en mêle. Ses aboiements ont pris le ton de ses congénères . Décidément, il n’y a pas que chez les humains que la bêtise de la foule transforme un individu. Je vais leur parler, les calmer, mais je n’en ai pas le temps. Une voix forte et autoritaire s’élève :
« Ca suffit les chiens ! couchés ! »
Les quadrupèdes hargneux cessent leurs aboiements et s’en vont immédiatement, le dos courbé, la queue frétillante, vers la voix.
Il s’avance vers moi, le visage jovial et accueillant. Sous son béret noir, la couleur claire de ses yeux contraste avec le teint buriné de son visage. De taille moyenne mais costaud, il se déplace avec agilité.
« Je parie que vous allez à la Tour … me fait le berger des bovins qui paissent paisiblement dans la minuscule prairie au pied de la montagne.
- Oui. C’est une balade que j’aime bien et la journée est magnifique. »
Il ne répond pas tout de suite. Pendant deux secondes, il me dévisage et me dit:
« Je vous ai déjà vu par là, non ?
- Ah, c’est possible. Ce n’est pas la première fois que j’y viens.
- Et alors, vous faites toujours la même promenade ? reprend-il, sur un ton taquin.
- Non, mais je veux la décrire pour donner envie à d’autres de la faire. »
Je ne sais pas très bien ce qu’il a compris. Me prend-il pour un représentant de guide de randonnée ? ou bien un membre d’association de balade en montagne ? Ce dont je suis sûr, c’est qu’il a compris que ça risquait d’attirer davantage de gens par ici.
- Eh bé alors, reprend-il sur un ton sérieux, il faudra bien leur dire de fermer les barrières. Celle-ci, mais aussi celle du haut, au pied du pylône. Parce que ça m’est arrivé plusieurs fois d’être obligé de passer derrière pour les fermer. C’est pas bien ça, pour les bêtes. Remarquez, je dis ça, mais les gens qui vont en montagne sont plus sérieux que ceux du bord de mer qui jettent leurs papiers partout. Dans l’ensemble, ils respectent. Mais il faudra bien leur dire, hein ? »
Et puis d’un coup, son visage change de nouveau. Il redevient joueur.
« Et en revenant, vous m’achetez une bête ? fait-il en riant
- D’accord pour un veau, mais seulement s’il a été élevé sous la mère. »
Je vois bien qu’il a relevé que je ne suis pas ignorant en matière d’élevage et qu’il apprécie.
Tout en soulevant l’avant de son béret avec le pouce, il appelle ses chiens et prenant la direction du village, il ajoute sur un ton moqueur:
- Allez, c’est d’accord, je vous en mets deux de côté. En attendant, ne vous perdez pas en chemin. »

Je traverse la petite prairie en slalomant entre les vaches et les veaux. Parmi les nombreuses sentes que les vaches ont tracées et qui toutes se dirigent manifestement vers la crête, j’en choisis une au hasard. Je m’y engage et soudain, j’entends derrière moi :
« Hé, ho ! c’est pas le bon. Prenez sur la gauche, près du grand chêne », me crie la voix de mon interlocuteur de tout à l’heure. Je ne le vois pas, mais lui, manifestement me voit. Je croyais qu’il était parti, m’ayant déjà oublié. Mais au travers de la végétation, il suivait ma progression.
Et comme je veux lui faire plaisir, je suis son instruction tout en lui criant :
« Merci ! je ne suis pas arrivé si je me perds déjà.»
J’entends son rire étouffé par le rideau de la végétation.

Pas le temps de s’échauffer doucement : la pente du sentier est immédiatement abrupte. Très creusé par le passage des vaches, il rappelle que ces gros animaux un peu raides sont plus agiles qu’on ne le pense. Je grimpe avec entrain et plaisir au milieu des cistes, des ronciers et des genêts. Le soleil brille, réchauffant la terre et les végétaux d’où exhalent des odeurs enivrantes.
Peu après le pylône électrique qui défigure ce magnifique paysage, je m’arrête un peu pour souffler. La vue est splendide : Au nord, le littoral étire ses plages tout au long de la Méditerranée dont le bleu profond est piqueté par les petites touches blanches des voiliers qui glissent avec langueur sur la mer endormie. A l’est, le hameau du Rimbau est devenu tout petit. Je pense avec plaisir à ces deux rencontres inopinées qui ont agréablement précédé cette randonnée. En levant les yeux plus à droite, la tour Madeloc découpe sa silhouette sur le ciel immaculé. Allez ! il est temps de repartir car il reste du chemin pour atteindre « la » Massane.

La grande longueur de piste pourrait paraître monotone mais le peu de pente imposée, la végétation abondante et cette belle journée en font une agréable promenade.
Là où la piste se termine et le petit sentier commence, j’ai l’impression de pénétrer dans une immense cabane en bois. De la lumière à l’ombre. De la douce chaleur à une température plus fraîche, j’entre dans les bois, « pendant que le loup y est pas , si le loup y était…. »
Encore vingt minutes pour parvenir au col de la place d’Armes. Je côtoie châtaigniers et chênes et bien qu’on soit en décembre, quelques petites châtaignes se cachent encore parmi les tapis de feuilles mortes que mes chaussures de montagne fendent et froissent dans un bruit qui me rappelle mes jeux d’enfant.
La dernière partie de la randonnée se fait parmi les hêtres, les arbres à houx et les chênes verts. Peu à peu, la végétation se fait moins dense et la lumière du ciel pénètre. Encore quelques mètres et les derniers arbres laissent tout à coup place à la prairie. La tour Massane trône au plus haut de cette étendue verte inondée par le soleil et où paissent tranquillement deux vaches.

Du haut de la plate-forme de la tour, la vue est panoramique : le massif du Canigou, la plaine du Roussillon, les stations et les plages de sable, la côte rocheuse, les sommets des Albères… Je reste de longs instants à contempler ce magnifique panorama. Une légère tramontane qui s’est levée vient se jeter sur la tour qui, de son corps rond et trapu, transforme le souffle en une chanson qui berce ma rêverie.

Il est difficile de s’extraire de ces moments de bonheur. Pourtant, ma raison finit par me convaincre de renoncer à cet état de douce béatitude. Un coup de rein, un mot d’encouragement et me voilà de nouveau sur pieds. Prêt à la descente. Léger et heureux. Avec de nouveau l’envie d’action.

Je m’engage sur le chemin du retour par le même sentier. Je retrouve les frondaisons, les pierres calcaires, les arbres à houx. Au col de la Place d’Armes, je m’arrête devant un écriteau de la réserve naturelle de la Massane : plan et consignes de protection de la nature.
Avant de poursuivre le sentier de retour, je m’engage plus avant dans la réserve naturelle. Juste pour le plaisir de pénétrer dans cette grande hêtraie, riche de nombreux arbres aux troncs magnifiques.
J’ai un peu l’impression de pénétrer dans une cathédrale. Le silence. Les grands troncs, colonnes interminables, qui s’élancent jusqu’aux voûtes de verdure qui dissimulent le ciel. Même la parole lancée dans cet espace prend une résonance mystique. Tout ici invite au respect, à la méditation. Je suis sûr que le divin se rencontre dans la nature. Les pierres que l’on monte pour lui dans les villes et les villages sont certes de magnifiques ouvrages qu’il me plaît de contempler et de visiter, mais si le divin existe, quelque soit son nom, le vénérer dans des lieux ouverts et naturels serait plus propice à la tolérance et à l’ouverture.

C’est avec ces réflexions en tête que je quitte la cathédrale de verdure et reprends le sentier qui me ramène vers Le Rimbau.
Il redescend parmi les châtaigniers et de nouveau mes pas froissent les feuilles mortes qui jonchent le sol. Je m’amuse comme un enfant en envoyant de temps en temps un grand coup de pied qui les fait s’envoler comme une nuée d’oiseaux apeurés.
Je viens de dépasser d’une centaine de mètres l’endroit où le sentier prend la forme d’une épingle à cheveux quand tout à coup, je m’arrête. Intrigué. Mes sens se mettent en éveil… J’ai perçu un bruit qui ne venait pas de moi. Un bruit de cailloux qui roulent et de feuilles qu’on piétine.
Je n’entends plus rien un instant, puis de nouveau le bruit reprend, s’arrête puis reprend encore. Il s’amplifie et se rapproche. Je scrute du regard les frondaisons. Il est presque sur moi quand il prend enfin forme. L’homme descend à grands pas en prenant des raccourcis qui lui sont apparemment très familiers. Il est à vingt mètres de moi. Nous échangeons un bonjour, le temps qu’il regagne le sentier sur lequel je suis.
Sans plus réfléchir, tellement cela me semble évident, je lui lance :
« Vous revenez du laboratoire Arago ?
- Oui, répond-il sans s’étonner davantage du fait que je l’aie deviné.
Il a un sac à dos et des chaussures de montagne comme n’importe quel randonneur mais il donne l’impression d’être chez lui. De connaître comme sa poche tous les recoins de ces lieux. Et puis il a des allures de « scientifique de plein air », si tant est qu’on puisse se fier aux apparences. Mais là, je ne sais pas pourquoi, j’en suis sûr. J’ajoute :
« Vous travaillez pour la réserve Naturelle ?
- J’en suis le conservateur. »
Je le laisse passer devant moi. Après tout, il est « chez lui ». Mais il n’en abuse pas. Il semble modeste et bien que discret, il m’apparaît plutôt convivial.
Tout en marchant l’un derrière l’autre, d’un pas modéré, je lui demande :
« Alors comment jugez vous l’état de la réserve ? »
Il se retourne un instant vers moi puis, tout en continuant sa marche:
- Nuancé. D’un côté, notre plan de gestion est plutôt respecté mais les effets de la très forte sécheresse de 2003 sont encore présents. L’écosystème a été sensiblement perturbé. Des arbres et des plantes ont été décimés. D’autres sont en mauvais état… »
Je suis doublement heureux de cette rencontre impromptue car au-delà de l’agrément d’un échange sympathique, j’ai l’occasion de discuter avec un conservateur sur une réserve naturelle (la Massane) qui fait partie du programme des études « Nature et environnement » que je suis à l’université du temps libre.
Aussi, je ne vois pas passer le quart d’heure pendant lequel nous parlons de la réserve. Je n’ai rien vu du chemin. On arrive déjà à la piste. A cent mètres de nous, je vois un « quatre-quatre » que j’avais remarqué ce matin mais dont j’avais oublié la présence. Je comprends que notre discussion va s’arrêter là.
« Bon, eh bien, j’ai été très heureux de faire votre connaissance me dit-il.
- Moi également. J’espère qu’on aura l’occasion de se revoir.
- Ce sera avec plaisir.
Echanges polis qui bien souvent sont sans suite. Cependant, ce que je sais, c’est que dans trois semaines il y aura une conférence sur la réserve naturelle de la Massane à laquelle j’assisterai. Je ne sais pas qui sera le conférencier. Peut-être sera-ce lui, peut-être non, mais je ne le lui demande pas. On verra bien. Ce sera la surprise.

Pendant qu’il monte dans son quatre-quatre pour redescendre bien confortablement la piste, je me concentre sur les raccourcis que je vais prendre pour éviter ce bout de piste que j’ai emprunté ce matin.
Le véhicule passe près de moi au moment où je vais m’engouffrer dans une sente qui coupe le long trajet. Je m’arrête. On se salue de la main. Je le regarde s’éloigner.

Vraiment, cette randonnée n’était pas comme les autres. Je rencontre habituellement très peu de gens en milieu de semaine et qui plus est à cette période. Aujourd’hui, j’ai fait rien moins que trois rencontres que j’ai aimées. Toutes différentes. Toutes attachantes et passionnantes. Pour un peu j’appellerais le récit de cette rando : « le vigneron, le berger et le scientifique ».

Mais finalement j’y renonce, car on pourrait penser que c’est une fable.



mardi 19 décembre 2006

Le peintre magicien (Conte pour Noël)






Comme je n'ai pas encore rédigé de récit sur la dernière rando publiée, j'ai décidé de faire paraître un petit conte que j'ai écrit il y a maintenant quelques années. Noël est un bon moment pour les contes.

L'action se déroule en montagne pendant l'automne. La montagne est bien le coeur de ce blog et dans deux jours, l'automne s'effacera pour laisser la place à l'hiver... Alors, pour tous ceux qui fréquentent ce blog, voici "Le peintre magicien".

Joyeux Noël à vous tous !




Le peintre magicien



Mon regard s'était posé sur elle en même temps que ma grosse chaussure de montagne se posait sur la pierre, sa voisine. Seule, au milieu de la montagne, elle semblait perdue dans l'automne triomphant. Encore toute tremblante d'avoir échappé à la monstrueuse chose qui s'était immobilisée auprès d'elle, elle n'avait pas encore remarqué ma présence.
Elle semblait toute chose, un peu repliée sur elle même, craintive et discrète. Son corps trahissait à la fois l'espoir, mais aussi la résignation. Elle vivait au jour le jour au milieu de cet univers qui se faisait chaque jour plus étranger. Toutes ses amies s'étaient éteintes une à une, comme des bougies qu'un souffle efface de la vie, pour les jeter dans la nuit glaciale de l'oubli.
Elle était la dernière fleur que l'automne avait ignorée à ce jour. Isolée au milieu de la montagne dévastée, sa robe bleu turquoise s'était un peu fripée.Elle en sembla désolée quand son regard croisa enfin le mien.
Dans ce regard attristé, on y lisait à la fois la gêne d'être la seule parmi ses soeurs à avoir été épargnée à ce jour, et le plaisir d'être une fois encore regardée.
Sa voix d'abord timide se fit peu à peu plus assurée au gré des compliments que je lui fis sur sa beauté, et elle me raconta alors comment l'automne guerrier dévastait la montagne depuis des semaines.
Le vilain était arrivé par un matin de la fin septembre. Il s'était tout d'abord approché d'un jeune châtaignier, qui le voyant arriver, se mit à trembler de toutes ses feuilles, comme s'il s'était enivré d'un vent fort qu'il aurait bu trop vite.
" Pourquoi trembles tu ainsi petit arbre, murmura l'automne d'une voix douce et gentille.
- Je tremble car je te crains répondit le châtaignier d'une voix chevrotante. Je sais que lorsque tu reviens chaque année, c'est pour anéantir tout notre monde végétal.
- Mais qui t'as dit cela, fit doucement le coquin
- Ce sont les bruits qui courent dans la montagne et les forêts.Nos pères nous l'ont appris, et nous ont mis en garde contre tes méfaits.
- Ne crois pas ce que colportent les vieux reprit le bourreau. Je ne suis dans cette montagne que pour vous rendre plus jolis encore, toi et tes amis les végétaux. Je veux seulement peindre les feuilles de mille couleurs diaprées. Elles seront tellement belles que les arbres rivaliseront de fierté, habillés ainsi, comme des princes et des rois. On viendra les voir de partout. Les hommes, habituellement si imbus d'eux-mêmes vont se déplacer pour admirer ce magnifique spectacle.
Le rusé lui fit ainsi mille flatteries et promesses, tant et si bien que le jeune châtaignier prit peu à peu confiance. Après encore quelques instants d'hésitation, il finit par murmurer:
" Tu pourrais me faire un habit de couleur, plus joli que celui de ce gros châtaignier là-bas qui prétend être le plus bel arbre de la montagne?
- Bien sûr, plus joli, mais aussi avec des couleurs qu'on a encore jamais vues ici bas.
- Alors, peinds moi, finit par dire le jeune imprudent qui ne se tenait plus de joie à l'idée de devenir le plus bel arbre de toute cette chataîgneraie.
L'automne ne se fit pas prier. D'un geste rond, il traça un arc en ciel qui lui tint lieu de palette, puis il choisit très haut dans le ciel, parmi les nuages les plus effilés, les pinceaux les plus doux et les plus soyeux qui soient, et il se mit à l'ouvrage.
Quand le peintre eut déclaré qu'il avait fini, le jeune inconscient qui s'impatientait depuis déjà de longues minutes,voulut voir de ses yeux le résultat tant attendu.
L'automne fit alors couler devant l'arbre un rideau de pluie, puis écartant lègèrement un nuage, il laissa filtrer un rayon de soleil qui éclaira le miroir d'eau cristalline. En se voyant ainsi paré, le jeune chataignier ne put empêcher un léger frisson de parcourir ses feuilles si magnifiquement colorées. Il en resta d'abord béat, puis sa joie s'extériorisa peu à peu, et de plus en plus bruyamment. Il voulut remercier l'automne pour tant de grâce, mais celui-ci n'était déjà plus là. Le bel arbre en fut un peu déçu, mais sa joie était telle qu'il oublia vite cette disparition furtive qui, à d'autres moins écervelés, aurait pu sembler suspecte. Mais quelle importance pensa- t- il, puisque le peintre génial avait tenu sa promesse. Il interpella ses voisins qui tous admirèrent la beauté de leur ami. Ils ne tarirent pas d'éloges sur la richesse et le chatoiement des couleurs.
Alors, les bruits coururent dans la montagne et les forêts qu'un peintre génial était arrivé, et qu'avec ses pinceaux magiques, il pouvait transformer cette vie si terne et si monotone qui durait ainsi depuis le printemps.
Même les plus anciens oublièrent l'enseignement des années passées,et aussi fous que les plus jeunes, ils firent appel à la saison guerrière déguisée en peintre magicien.
Elle sait bien, elle, la rusée que les vivants regardent plus souvent avec leurs yeux qu'avec leurs coeurs, et qu'il suffit d'un peu de parure et de brillant pour oublier l'essentiel qui lui ne se voit pas.
" Et ce fut comme une épidémie qui courut parmi tous les végétaux, continuait tristement la petite fleur bleue. Les bouleaux faisaient admirer leur jaune tendre, les cerisiers ne tarissaient pas d'éloges sur le rouge flamboyant qui enflammait leur feuillage. Les aulnes se pavanaient dans leur habit d'ocre. Même les hêtres et les chênes s'enluminèrent des magnifiques couleurs que leur proposait l'automne.
Alors, comme l'avait prédit le peintre magicien, la montagne explosa de couleurs et de lumière. De l'aube à l'aurore, ce fut une fête extraordinaire. Le soleil ne se lassa pas de composer des tableaux sans cesse changeants aux différentes heures de la journée. Tous étaient plus beaux les uns que les autres, et il ne fut pas d'êtres humains qui ne se déplacèrent pour contempler tant de splendeur.
Pourtant, un matin, le vent se leva, d'abord doucement, puis de plus en plus fort. Il arracha quelques feuilles de chataîgniers, puis il secoua les bouleaux insouciants. Il vint même agacer les grosses branches des vieux chênes qui grommelèrent.
Les jours passaient, et outre le vent qui dégarnissait sans remords tant de beauté, les couleurs changèrent peu à peu. Le marron envahissait inexorablement les flancs de la montagne. Les feuilles se recroquevillaient pour se protéger du vent froid, mais ne pouvaient plus se redresser quand Eole ne soufflait plus.
Personne ne se plaignait, et pourtant tous avaient compris qu'ils s'étaient laissés séduire par le brillant courtisan qui depuis la nuit des temps prépare la venue de l'hiver qui viendrait bientôt endormir la nature pour quelques mois ".
En terminant ces mots, la petite fleur poussa un long soupir de découragement, tout en esquissant un pauvre sourire contrit.
Je posai délicatement un doigt sous sa corolle et lui dis:
"Ainsi va la vie. Chaque année, les saisons font leur ronde, toujours la même, un milliard de fois répétée, un milliard de fois réussie. Il en est de même pour les hommes. Mais s'il est vrai que l'automne prépare l'engourdissement hivernal, c'est pour mieux préparer la nouvelle vie qui germe doucement dans le ventre de la terre. Alors, viendra le printemps, divine sage femme qui fera éclore la Vie des entrailles de la terre amoureusement pleine".
Une lueur d'espoir éclaira la fragile petite plante. La couleur de sa robe se fit plus vive.
Nous n'échangeâmes plus de mots. Ils auraient été de trop en cette fin de matinée d'automne. La petite fleur se tourna vers le soleil, et humant à pleins poumons l'air doux de la vie, elle poussa un long soupir de contentement que seuls peuvent entendre ceux qui savent parler avec les fleurs.

mardi 12 décembre 2006

La tour Massane depuis Le Rimbau (la rando)

Tour Madeloc et Cap Béar vus de la Massane


Tour Madeloc et Abbaye de Valbonne vues du sentier

Vue sur le littoral prise de la Massane

Vue du hameau du Rimbau depuis le sentier

La tour Massane


Fruits de houx parmi les nombreux arbres


Mon avis sur cette randonnée : l’accès à la tour Massane par cet itinéraire (à pieds bien entendu) est un peu plus long que celui qui relie Lavall à la Tour, mais il offre des vues magnifiques sur la côte Vermeille, des passages en forêt très agréables et une incursion dans la réserve naturelle de la Forêt de la Massane. De la tour Massane, le panorama sur la plaine du Roussillon et la côte est absolument superbe.
Cette rando peut se faire en toutes saisons : au printemps, les couleurs de la flore vous raviront. L’été, vous pourrez profiter de l’ombre des passages en forêt. A l’automne, les couleurs des arbres y sont magnifiques et en hiver, le soleil est souvent présent et les températures sont clémentes.

Dénivelé : 650 m

Durée : 3h à 4h de marche effective selon votre vitesse (le passage où l’on chemine sur une piste est long et dénivelle peu).

Accès au départ de la randonnée: prendre la RN 114, route à 4 voies qui va de Perpignan à Collioure. Choisir la sortie 14 au niveau de Collioure. S’engouffrer dans la D86, petite route qui monte sur la gauche en direction de la Tour Madeloc. « le Rimbau » est indiqué. Après environ 1,5 km, dans un virage, prendre à droite, une petite route « de vignes » indiquée en impasse qui se dirige vers le Rimbau. Elle serpente parmi les vignes tout en offrant les premières vues « aériennes » sur la côte Vermeille. On arrive dans le hameau du Rimbau au bout d’environ 2,5 km après la dernière bifurcation. On se rend au départ de la randonnée en prenant à l'entrée du hameau la route indiquée par le panneau « rocher d’escalade ». En contrebas des maisons on traverse le ruisseau Le Ravaner sur 2 échelles métalliques allongées en guise de pont (altitude 150m).

Référence cartographique : Pour l’accès au départ et pour la randonnée, utiliser la carte de randonnée IGN 1/25.000 n° 2549 OT


La randonnée :
Entrer dans l’enclos des bovins (refermez bien derrière vous la barrière).Prendre sur la gauche (et non sur la droite : vous iriez au rocher d’escalade) le sentier creusé profondément dans la terre et le roc, et qui monte immédiatement de façon abrupte. Il s’élève au travers d’une végétation de genêts, d’ajoncs, de ronciers, de cistes et d’euphorbes. Il existe, même s’il est irrégulier, un balisage (trait jaune de petite randonnée).
Prenez également comme repère visuel un grand pylône électrique très visible, auprès duquel vous passerez tout à l’heure.


Poursuivre la montée en continuant de cheminer sur ce sentier très fréquenté (notamment par les vaches qui y laissent des traces ne faisant aucun doute de leur passage).

Passer encore une barrière (bien refermer) et continuer de monter le long d’une clôture.
On arrive alors au pied du pylône qu’on voit depuis le hameau. A une dizaine de mètres court une piste. L’altitude est d’environ 500m.

A partir de là, on fait un choix :
soit on n’est pas trop sûr et on joue la sécurité : il suffit alors de prendre à droite sur la piste. Marcher longuement sur cette piste jusqu’à ce que vous arriviez à une intersection avec une autre piste qui monte depuis le Mas Christine. Prenez à gauche cette nouvelle piste jusqu’à ce qu’elle se termine et vous invite à prendre un sentier balisé.

Soit on coupe les pistes par des petits sentiers plus ou moins bien signalés : En face du pylône, on traverse la piste et on prend le petit sentier qui s’engouffre parmi les ajoncs et les ronciers. On arrive de nouveau à la piste. Il faut chercher le prochain petit sentier « buissonnier » à droite à une dizaine de mètres. Celui-ci vous monte plus haut sur la piste et là, il faut se résigner à cheminer sur cette dernière pendant une longue ligne droite. Ce n’est que dans le virage qui tourne fortement à droite qu’on peut de nouveau prendre un petit sentier qui coupe. Le dernier sentier vous amènera sur la piste qui est celle venant du Mas Christine. Prendre alors à gauche pendant 100 mètres environ et on arrive au bout de la piste. Le sentier balisé vous attend.

Quelque soit le choix de chacun, tous se retrouvent en fin de piste. Il est alors temps de s’engager sur le sentier (balisé en jaune) qui monte au travers d’une forêt de châtaigniers et de chênes jusqu’au col de la Place d’Armes. Soyez bien vigilant au balisage. Après seulement 50m de marche, ne vous laissez pas distraire par le sentier qui descend sur la gauche : allez tout droit sur le sentier qui passe sur le roc. Plus loin, on peut être tenté d’aller tout droit. La croix jaune peinte doit vous en dissuader pour vous inviter à prendre le virage à droite.

En 20 minutes, on arrive au col de la place d’Armes (altitude 677 m). Il y a là un panneau de la réserve naturelle de la forêt de la Massane avec un plan succinct de la réserve. Prendre sur la droite le sentier en direction de la Tour Massane (toujours balisé en jaune) qui commence d’abord sur du plat (quelques petites bosses seulement dans les endroits rocheux) pendant quelques centaines de mètres. Si on est en automne ou en hiver, on peut apercevoir, au travers des branches dénudées, la tour Massane qui attend votre venue. Les arbres à houx sont très nombreux.

A partir d’un petit poteau de bois noté « réserve naturelle sentier botanique A2 », le sentier monte sur la droite au travers des chênes verts. Il est relativement bien balisé en jaune. Il suffit d’être vigilant, notamment à une intersection où une croix jaune vous indique qu’il ne faut pas aller tout droit mais à gauche (un cairn confirme d’ailleurs la direction).
Encore 10 minutes et on sort de la forêt. Bientôt apparaît la tour Massane toute proche qu’on atteint rapidement (l’altitude est alors de 793 m).

Le retour se fait par le même itinéraire. Il vous sera plus facile, après avoir retrouvé la piste du Mas Christine de diminuer le long cheminement sur les pistes en empruntant les sentiers buissonniers qui les coupent car ces derniers sont beaucoup plus repérables à la descente.















vendredi 8 décembre 2006

Ste Anne: du bonheur sur les crêtes ( Récit)




Ce matin-là, le bleu du ciel a la douceur du velours et le soleil s’y prélasse langoureusement. Le thermomètre indique 6° alors que ma voiture roule encore dans la plaine. Je me réjouis à l’avance de retrouver les premiers froids en montagne.

Après Bouleternère, je m’engage dans la vallée où coule le Boulès. Là, les couleurs de l’automne se pavanent sous un soleil d’automne éclatant. Le jaune, le rouge, le marron des arbres à feuilles caduques ont pris des allures de divas au milieu du vert intense des arbres à feuillage persistant.
Une petite prairie surgit au détour d’un virage. Une fine pellicule de gelée d’un blanc immaculé témoigne que le froid a campé là cette nuit. Un peu plus loin, un pic-vert s’élance à quelques mètres devant la voiture, dans un vol horizontal, long et saccadé.

En sortant de ma voiture que je viens de garer sur le parking du prieuré de Serrabonne, j’inspire goulûment l’air frais vivifiant en me frottant les mains à l’idée de randonner par une telle journée si pleine de lumière et d’espérance.
Bien chaussé et le sac sur le dos, je parcours rapidement les cent mètres me séparant du prieuré sans jeter un coup d’œil aux petits écriteaux de découverte de la végétation que l’administration du prieuré a piqués au pied des plantes et des arbres qui bordent la droite de la piste.
A droite, les panneaux « les crêtes » puis « Roca Roja et col d’Arques » m’indiquent le chemin.

J’attaque avec détermination les 380 mètres de dénivelé qui vont m’élever vers la ligne de crête. Les chênes verts dominent la végétation, cohabitant avec les cistes défleuries depuis déjà bien longtemps, les nombreuses touffes de bruyère arborescente et quelques sapins isolés.

Quand au bout d’une dizaine de minutes d’effort je passe la barrière, je sais que je suis tout proche du premier palier de la montée. En effet, le sentier fait une bosse puis entame une petite descente pour aussitôt remonter résolument au travers d’une végétation où les sapins dominent à leur tour les chênes verts.
Après à peine un quart d’heure de marche, je sors de cette petite forêt de conifères. La pente du sentier se fait plus douce. Les arbres deviennent plus rares. Même la grande bruyère qui est encore là semble se tenir prête à laisser la place à la petite bruyère. Il ne reste plus qu’un palier à franchir pour parvenir au petit col sans nom qui m’attend là-haut. Je fais une petite pause, autant pour admirer les courbes arrondies de la ligne de crête que pour reprendre mon souffle. Je sens des gouttes de sueur perler entre carline et polaire.
Après à peine une minute, je reprends le sentier qui monte d’abord doucement puis de plus en plus fort. La végétation devient basse et parsemée. Seuls la bruyère et le genêt semblent trouver cet habitat naturel à leur goût. Encore un petit effort. La ligne de crête est là, toute proche. Le sentier se rétrécit entre genêts et ronciers, la pente est encore plus raide.

Voilà, je m’extrais maintenant de la montée comme un père Noël d’une cheminée. Essoufflé d’abord et ébahi ensuite par un tel panorama qui se déroule sous mes yeux : Les principaux massifs montagneux du département dressent majestueusement leur stature de géants dans un décor de rêve. Heureux également de ce bel effort et de cette magnifique journée ensoleillée qui laisse augurer encore quelques instants de bonheur simple.

Le sentier est facile. Il monte et il descend. Six ou sept fois il joue aux montagnes russes. En vingt minutes, je suis au col d’Arques où un petit abri en pierres sèches semble monter la garde. Je jette un petit coup d’œil à l’intérieur avec une petite pointe d’appréhension enfantine de découvrir je ne sais quoi d’hostile ou de monstrueux dans la demi-obscurité qui y règne. Il n’y a bien sûr rien mais tant mieux ! il me reste un peu de mon enfance.

Sur la droite, une piste file vers le petit village de Glorianes. Je l’ignore et attaque la montée vers le roc d’Aurène. La pente se fait plus raide. Sur la droite, un petit troupeau de moutons. Ils sont d’abord surpris. La tête en l’air, l’air inquiet. Je m’en approche. Tout à coup ils détalent mais s’arrêtent au bout de trente mètres. Ils se retournent pour me regarder et semblent se rendre compte que je ne fais que passer. Alors, ils reviennent timidement sur leurs pas. Deux d’entre eux esquissent même audacieusement un début de trot vers moi mais se figent finalement, jugeant l’immobilité plus prudente. Je stoppe mon pas pour profiter de cette magnifique image de ces frêles et doux animaux qui se découpent en premier plan sur le massif du Madres et les falaises calcaires du Fenouillèdes.

Je reprends la montée. Un peu plus loin, à quelques mètres de moi, un vol de quatre oiseaux plutôt trapus s’élève brusquement des fourrés de genêts et ronciers dans le ciel bleu. Le bruit de leur vol, puissant et sec, fait penser à l’envol d’un hélicoptère. J’ai le soleil dans les yeux et malgré ce bruit caractéristique, je ne parviendrai pas à identifier l’espèce. Tant pis. Je me contenterai de la surprise qu’il m’ont faite en perçant brusquement le silence des montagnes où je suis immergé.

La prochaine et dernière rencontre que je fais avant d’atteindre la chapelle St Anne est, elle, paisible et silencieuse: en m’entendant arriver, elle tourne doucement son cou vers moi tout en continuant de mâcher. La vache Aubrac cesse bien de ruminer quelques secondes, le temps que je passe près d’elle mais reprend aussitôt son activité bovine, tout en suivant mon passage d’un regard empli d’une totale indifférence.

C’est après deux heures d’une marche au rythme soutenu que m’apparaissent les ruines de la chapelle Ste Anne. Les vues panoramiques n’ont pas cessé tout au long de la ligne de crête mais là, le spectacle atteint son apogée avec une vue à 360° sous un soleil on ne peut plus éclatant. Le Fenouillèdes étend longuement ses falaises calcaires jusqu’à la forme trapézoïdale du pech de Bugarach. Les pics et plas du Madres imposent alors leurs masses trapues. Derrière eux, les cimes enneigées du pic Carlit et de son massif semblent tutoyer le ciel. Et puis devant moi la masse imposante, toute proche du massif du Canigou. C’est comme si j’ouvrais mes volets et que d’un balcon imaginaire je pouvais tendre le bras et poser la main sur chacun de ses sommets qui me sont si familiers: Canigou, Barbet, Puig Sec, Serra de Roc Negre, Gallinas, Pel de Ca.
Sur la gauche, la ligne de crête des Albères plus lointaines court en ondulant vers la Méditerranée dont la ligne d’horizon s’est enveloppée dans un léger ourlet de nuages blancs. Malgré la densité humaine et la circulation que je connais, la plaine du Roussillon et ses villages apparaissent d’ici silencieux et paisibles.

C’est ce paysage grandiose qu’avaient sous leurs yeux les ermites qui habitèrent ce lieu aux 17e et 18e siècles. Combien de joies, de peines, d’espoirs, de désespoirs, de petits bonheurs ont été vécus ici sur ce promontoire dominant mais aussi exposé aux exigences et aux caprices de la nature ?
Assis aujourd’hui sur un petit muret de pierres, vestige de la chapelle, en ouvrant mon sac à dos pour en extraire la nourriture, je pense à eux au cœur de ce moment d’intense bonheur dans ce grand espace de solitude.











jeudi 7 décembre 2006

Ste Anne, chapelle en ruines (la rando)

Vue sur les Albères à partir des crêtes

L'orri du col d'Arques


Vue des crêtes sur Glorianes, petit village isolé

Le prieuré de Serrabonne vu du sentier montant aux crêtes

Le Canigou depuis les ruines de la Chapelle Ste Anne

Mon avis sur la randonnée : Sans avoir à s’élever beaucoup en altitude (maxi 1347 m), cette randonnée qui se déroule pour l’essentiel sur les crêtes, offre des vues panoramiques magnifiques sur la plaine et les montagnes catalanes. Elle est idéale au printemps et en automne. Elle peut être très agréable l’été à condition d’éviter les heures où le soleil darde ses chauds rayons sur les crêtes.

Dénivelé :environ 780 m

Durée : 3h30 (rythme assez soutenu) à 4h30 (plus tranquille) de marche effective.

Accès au départ de la randonnée : Depuis perpignan, prendre la N 116 en direction du « Soler, Prades, Andorre ». C’est une route à 4 voies. On passe à proximité de Millas, Ille sur Têt. Après Ille, le village de Boulternère est indiqué sur la gauche. On s’y rend en empruntant la D 16 pendant 7 à 800 m. Traverser le village. Prendre en direction de Boule d’Amont et du Prieuré de Serrabonne sur la D 618. Rouler pendant environ 7 km à partir de la sortie du village. On arrive à une intersection où se trouve « le relais de Serrabonna » qui vend des produits du terroir. Prendre alors à droite la petite route qui monte vers le prieuré de Serrabonne. Rouler pendant environ 4 km. On arrive à un parking. Laisser là la voiture et en avant pour la rando.

Distance de Perpignan au départ de la randonnée: 40 km

Référence cartographique : Pour la randonnée, utiliser les cartes de randonnée IGN 1/25.000 n° 2449 OT et 2349 ET

Description de la randonnée :
· A partir du parking, se diriger vers le prieuré tout proche (une centaine de mètres).

· En arrivant au prieuré (altitude 601 m), sur la droite, un panneau « les crêtes », puis un autre « Roca Roja et Col d’Arques » vous indiquent la direction à prendre.

· Le sentier débute par une montée régulière et raisonnable. Des cairns (pierres empilées par de sympathiques randonneurs qui pensent à vous) jalonnent le sentier de façon irrégulière. Un balisage tantôt jaune, tantôt peint d’autres couleurs est également présent mais de façon irrégulière et parfois à demi-effacé. Cela dit, le tracé du sentier est très visible et le mot d’ordre pour cette partie est « marche tout droit » vers les crêtes qui se profilent là- haut.

· Cette montée vers les crêtes (380m de dénivelé) se fait en 3 parties. On arrive d’abord à un premier palier, peu de temps après avoir passé une petite barrière. Le sentier nous invite alors à une légère descente pour remonter aussitôt vers le second palier. La rupture entre le 2e et le 3e palier est moins marquée: la pente se fait plus douce, la végétation s’éclaircit et le sentier entame la 3e partie de la montée vers les crêtes. Les derniers 100 mètres de dénivelé sont un peu plus abrupts. Le sentier finit sa course en se faufilant entre les ronciers et les genêts.

· Dès l’arrivée sur la crête (990 m), le regard peut déjà embrasser un magnifique panorama. Si le temps est dégagé, ces vues se répéteront tout au long des 5 ou 6 km (aller) de marche en crête. On prend alors sur la gauche (en prenant à droite vous iriez vers la Roca Roja). Dès le départ, il existe un véritable fil d’Ariane : une clôture file de cet endroit jusqu’à la chapelle St Anne. Il suffit de suivre ce guide « fil de fer » d’un côté ou de l’autre. A droite il existe un tracé de piste. Si on choisit de le suivre, il faut être vigilant à ne pas s’éloigner de la clôture car la piste, cette coquine, bifurque une ou deux fois sur la droite et risquerait alors de vous égarer. En ce qui me concerne, j’ai parcouru l’aller en gardant la clôture à ma droite et pour le retour, elle gardait mon flanc gauche. On ne peut faire plus simple.

· Le trajet commence par 6 ou 7 petites montées et descentes. Ce n’est qu’après ces montagnes russes qu’on atteint le col d’Arques (1023 m) qui est marqué par un orri (petit abri fait de pierres sèches). Il ne faut surtout pas prendre la piste qui s’en va sur la droite vers Glorianes et le col de la Croix de Fer.

· A partir du Col d’Arques, le sentier s’élève cette fois sérieusement en direction du Roc d’Aurène (1201m). En ce qui me concerne, j’ai cherché (en vain) un sentier à gauche, indiqué sur la carte IGN. Finalement, je m’en suis tenu au simple mot d’ordre « suivre la clôture ».

· Après le roc d’Aurène, la pente se fait plus douce, mais pour mieux remonter ensuite vers le puig Soubiranne (1307 m). Il ne reste plus alors qu’à produire les derniers efforts pour atteindre les ruines de la Chapelle St Anne (altitude 1347 m). Et de cet endroit où vécurent, aux 17e et 18e siècle, successivement plusieurs ermites, la vue sur le Canigou est magnifique. On a l’impression d’ouvrir sa fenêtre et de contempler de son balcon, la montagne mythique qui dessine fièrement tous ses sommets qui dépassent 2700 m (le Canigou, le Barbet, le puig Sec, la serra de Roc negre, …). Mais ce n’est pas tout, sur la droite, on peut voir les falaises calcaires du Fenouillèdes puis le pech Bugarach dans l’Aude. Le Madres impose ensuite sa masse trapue, tandis qu’au loin, entre Canigou et Madres, le massif du Carlit dresse ses sommets flirtant avec l’Ariège. Sur la gauche, la chaîne des Albères court vers la Méditerranée.

· Après un repos bien mérité, le retour se fait par le même chemin : on suit les crêtes le long de la clôture pendant 5 ou 6 km puis avant d’entamer la descente à droite (un cairn vous rappelle l’endroit où se prend le sentier) pour regagner le prieuré de Serrabonne.



En guise d’accueil ...

Les Camporeils

Le col Mitja, entre les pics Redoun et Gallinas


Dans la vallée d'Eyne


Le massif du Canigou vu d'au-dessus de Jujols


Bienvenue sur ce blog où je vous propose de partager la connaissance que j’ai de quelques randonnées qu’on peut effectuer dans les montagnes des Pyrénées Catalanes.

Je m’appelle Roland Vannier. En septembre 2006, j’ai cessé mon activité professionnelle pour prendre le statut de retraité.
En lançant ce blog, je poursuis le but d’être bénévolement utile à tous les randonneurs qui parcourent sans précipitation (au hasard ou en état de recherche) les chemins de la toile électronique.
J’ai toujours ressenti une attirance pour la montagne, ses sommets, sa faune, sa flore: « ça m’avait gagné » depuis bien longtemps mais si avant 1988 je randonnais déjà, ce n’était qu’épisodiquement.
C’est en arrivant dans le département des Pyrénées Orientales en 1988 que je me suis mis à pratiquer régulièrement la randonnée. D’abord avec deux sections du Club Alpin Français mais aussi avec la section montagne du comité d’entreprise de la société où je travaillais jusqu’en août 2006.

Ces structures m’ont été très utiles et m’ont permis d’acquérir suffisamment de connaissances et de confiance pour prendre de l’autonomie et me lancer dans des randonnées solitaires.


Ce sont ces randonnées que je vais tenter de décrire ici afin que vous puissiez, si le cœur vous en dit, en profiter à votre tour.

Je ferai en sorte que mes descriptions soient le plus précises possible. Cependant, je le répète, mon intention est de partager dans un esprit de bénévolat, et d’éventuelles erreurs ou omissions de ma part ne sauraient entraîner ma responsabilité lors de vos propres sorties sur ces randos ici décrites.

Mes engagements et leurs limites:
· Je m’engage à publier de façon désintéressée mes quelques connaissances.
· Je m’engage à répondre à vos questions.
· Je ne m’engage à aucune fréquence, ni durée, ni échéance concernant la publication. Cette liberté acquise sur la tyrannie de la gestion du temps imposée en entreprise est un privilège que j’ai découvert dans ma nouvelle vie et que j’apprécie trop pour y renoncer.

La mise en œuvre :
Chaque randonnée sera ainsi décrite :
« Mon avis sur cette randonnée »
Le « dénivelé » positif
Des indications pour « l’accès au départ de la randonnée »
Des « références cartographiques »
La « description de la randonnée »
« Quelques photos » en guise d’illustration

Enfin, pour certaines, je rédigerai un petit récit décrivant mon vécu d'une de mes sorties sur cette randonnée.

En retour de ces descriptions, je vous serai reconnaissant de me faire part de vos commentaires, remarques, critiques. Ils seront les bienvenus pour que j’ajuste mes propos ainsi que ma façon de les communiquer.