vendredi 8 décembre 2006

Ste Anne: du bonheur sur les crêtes ( Récit)




Ce matin-là, le bleu du ciel a la douceur du velours et le soleil s’y prélasse langoureusement. Le thermomètre indique 6° alors que ma voiture roule encore dans la plaine. Je me réjouis à l’avance de retrouver les premiers froids en montagne.

Après Bouleternère, je m’engage dans la vallée où coule le Boulès. Là, les couleurs de l’automne se pavanent sous un soleil d’automne éclatant. Le jaune, le rouge, le marron des arbres à feuilles caduques ont pris des allures de divas au milieu du vert intense des arbres à feuillage persistant.
Une petite prairie surgit au détour d’un virage. Une fine pellicule de gelée d’un blanc immaculé témoigne que le froid a campé là cette nuit. Un peu plus loin, un pic-vert s’élance à quelques mètres devant la voiture, dans un vol horizontal, long et saccadé.

En sortant de ma voiture que je viens de garer sur le parking du prieuré de Serrabonne, j’inspire goulûment l’air frais vivifiant en me frottant les mains à l’idée de randonner par une telle journée si pleine de lumière et d’espérance.
Bien chaussé et le sac sur le dos, je parcours rapidement les cent mètres me séparant du prieuré sans jeter un coup d’œil aux petits écriteaux de découverte de la végétation que l’administration du prieuré a piqués au pied des plantes et des arbres qui bordent la droite de la piste.
A droite, les panneaux « les crêtes » puis « Roca Roja et col d’Arques » m’indiquent le chemin.

J’attaque avec détermination les 380 mètres de dénivelé qui vont m’élever vers la ligne de crête. Les chênes verts dominent la végétation, cohabitant avec les cistes défleuries depuis déjà bien longtemps, les nombreuses touffes de bruyère arborescente et quelques sapins isolés.

Quand au bout d’une dizaine de minutes d’effort je passe la barrière, je sais que je suis tout proche du premier palier de la montée. En effet, le sentier fait une bosse puis entame une petite descente pour aussitôt remonter résolument au travers d’une végétation où les sapins dominent à leur tour les chênes verts.
Après à peine un quart d’heure de marche, je sors de cette petite forêt de conifères. La pente du sentier se fait plus douce. Les arbres deviennent plus rares. Même la grande bruyère qui est encore là semble se tenir prête à laisser la place à la petite bruyère. Il ne reste plus qu’un palier à franchir pour parvenir au petit col sans nom qui m’attend là-haut. Je fais une petite pause, autant pour admirer les courbes arrondies de la ligne de crête que pour reprendre mon souffle. Je sens des gouttes de sueur perler entre carline et polaire.
Après à peine une minute, je reprends le sentier qui monte d’abord doucement puis de plus en plus fort. La végétation devient basse et parsemée. Seuls la bruyère et le genêt semblent trouver cet habitat naturel à leur goût. Encore un petit effort. La ligne de crête est là, toute proche. Le sentier se rétrécit entre genêts et ronciers, la pente est encore plus raide.

Voilà, je m’extrais maintenant de la montée comme un père Noël d’une cheminée. Essoufflé d’abord et ébahi ensuite par un tel panorama qui se déroule sous mes yeux : Les principaux massifs montagneux du département dressent majestueusement leur stature de géants dans un décor de rêve. Heureux également de ce bel effort et de cette magnifique journée ensoleillée qui laisse augurer encore quelques instants de bonheur simple.

Le sentier est facile. Il monte et il descend. Six ou sept fois il joue aux montagnes russes. En vingt minutes, je suis au col d’Arques où un petit abri en pierres sèches semble monter la garde. Je jette un petit coup d’œil à l’intérieur avec une petite pointe d’appréhension enfantine de découvrir je ne sais quoi d’hostile ou de monstrueux dans la demi-obscurité qui y règne. Il n’y a bien sûr rien mais tant mieux ! il me reste un peu de mon enfance.

Sur la droite, une piste file vers le petit village de Glorianes. Je l’ignore et attaque la montée vers le roc d’Aurène. La pente se fait plus raide. Sur la droite, un petit troupeau de moutons. Ils sont d’abord surpris. La tête en l’air, l’air inquiet. Je m’en approche. Tout à coup ils détalent mais s’arrêtent au bout de trente mètres. Ils se retournent pour me regarder et semblent se rendre compte que je ne fais que passer. Alors, ils reviennent timidement sur leurs pas. Deux d’entre eux esquissent même audacieusement un début de trot vers moi mais se figent finalement, jugeant l’immobilité plus prudente. Je stoppe mon pas pour profiter de cette magnifique image de ces frêles et doux animaux qui se découpent en premier plan sur le massif du Madres et les falaises calcaires du Fenouillèdes.

Je reprends la montée. Un peu plus loin, à quelques mètres de moi, un vol de quatre oiseaux plutôt trapus s’élève brusquement des fourrés de genêts et ronciers dans le ciel bleu. Le bruit de leur vol, puissant et sec, fait penser à l’envol d’un hélicoptère. J’ai le soleil dans les yeux et malgré ce bruit caractéristique, je ne parviendrai pas à identifier l’espèce. Tant pis. Je me contenterai de la surprise qu’il m’ont faite en perçant brusquement le silence des montagnes où je suis immergé.

La prochaine et dernière rencontre que je fais avant d’atteindre la chapelle St Anne est, elle, paisible et silencieuse: en m’entendant arriver, elle tourne doucement son cou vers moi tout en continuant de mâcher. La vache Aubrac cesse bien de ruminer quelques secondes, le temps que je passe près d’elle mais reprend aussitôt son activité bovine, tout en suivant mon passage d’un regard empli d’une totale indifférence.

C’est après deux heures d’une marche au rythme soutenu que m’apparaissent les ruines de la chapelle Ste Anne. Les vues panoramiques n’ont pas cessé tout au long de la ligne de crête mais là, le spectacle atteint son apogée avec une vue à 360° sous un soleil on ne peut plus éclatant. Le Fenouillèdes étend longuement ses falaises calcaires jusqu’à la forme trapézoïdale du pech de Bugarach. Les pics et plas du Madres imposent alors leurs masses trapues. Derrière eux, les cimes enneigées du pic Carlit et de son massif semblent tutoyer le ciel. Et puis devant moi la masse imposante, toute proche du massif du Canigou. C’est comme si j’ouvrais mes volets et que d’un balcon imaginaire je pouvais tendre le bras et poser la main sur chacun de ses sommets qui me sont si familiers: Canigou, Barbet, Puig Sec, Serra de Roc Negre, Gallinas, Pel de Ca.
Sur la gauche, la ligne de crête des Albères plus lointaines court en ondulant vers la Méditerranée dont la ligne d’horizon s’est enveloppée dans un léger ourlet de nuages blancs. Malgré la densité humaine et la circulation que je connais, la plaine du Roussillon et ses villages apparaissent d’ici silencieux et paisibles.

C’est ce paysage grandiose qu’avaient sous leurs yeux les ermites qui habitèrent ce lieu aux 17e et 18e siècles. Combien de joies, de peines, d’espoirs, de désespoirs, de petits bonheurs ont été vécus ici sur ce promontoire dominant mais aussi exposé aux exigences et aux caprices de la nature ?
Assis aujourd’hui sur un petit muret de pierres, vestige de la chapelle, en ouvrant mon sac à dos pour en extraire la nourriture, je pense à eux au cœur de ce moment d’intense bonheur dans ce grand espace de solitude.











1 commentaire:

Jean a dit…

J'ai lu et relu, envoyé un message d'admiration, mais à priori cela n'a pas fonctionné.
Tu me connais...

Franchement bravo pour ton écriture !

Enfin, je peux lire tranquilou un de tes textes.

J'ai grimpé avec toi, pris le bon bol d'air frais, vu les moutons, et l'Aubrac, entendu les oiseaux.

Merci Mon Roland.

Porte toi bien et à un de ces jours.

Bien Amicalement.

Jean.